Les perles de Hana Robotkova

Publié le par Paul Moes

  


Mardi 20 mai 2008 nous avons assisté au Foyer Européen à un concert de très haut niveau. Nous y avons découvert avec plaisir, dans l’intimité de cette salle chaleureuse, Hana Robotkova, pianiste tchèque interprétant un programme intitulé « Rencontres  avec Serge Muhle et la Musique tchèque ». Comme l’a indiqué l’artiste elle-même dans une introduction au programme ce concert représenta deux chronologies : la musique de Serge Muhle (compositeur né en 1949 à Luxembourg) et la musique pour piano tchèque. Muhle revendique fièrement sa liaison avec le passé, inspiré tantôt du baroque, Bach et Mozart, tantôt de Chopin. Ces expériences polyphoniques lui permettent de pratiquer avec talent un style très personnel voire moderne. On sent que Hana Robotkova a une relation affective avec la musique de Muhle.

 

Les compositeurs tchèques au programme furent Jan Ladislav Dussek, Bedrich Smetana, Leos Janacek et finalement Bohuslav Martinu.

 

De façon consciemment subjective nous avons voulu parler ici des deux œuvres qui nous ont le plus marqué.

 

 

 

La sonate 1.x.1905, de Leos Janacek comporte deux mouvements dont le premier s’intitule « Pressentiment » et le second « Mort ». Dans « Pressentiment » la pianiste exprime avec virtuosité l’intensité de l’émotion, fidèle à une certaine fébrilité voulue par le compositeur. Entamé par un beau chant, ce mouvement, noté con moto – avec mouvement, abandonne vite ce caractère paisible et Hanna Robotkova est superbe dans la musique heurtée et violente qui lui succède. Milan Kundra a dit au sujet de ce mouvement : « La coexistence permanente des émotions contradictoires donne à la musique de Janacek son caractère dramatique ». L’interprète tchèque ne l’a pas contredit ce soir. Intitulé « Mort » le deuxième mouvement ne se développe pas comme une marche funèbre même si le glas discret avec lequel il débute, interprété sans effets démonstratifs, de façon complètement intériorisé fut bouleversant d’authenticité jusqu’à nous donner le frisson . L’intensité passant de pianissimo à forte crée en nous cet étrange sentiment hésitant entre la douceur mélodique et l’angoisse suggérée par l’intensité du rythme et des ruptures. Notre émotion provient des beautés sonores de l’œuvre, mais aussi de la sincérité de l’interprétation de Hanna Robotkova. Musique bouleversante et une grande interprétation !

 

L’apothéose de la soirée fut la fin du concert  réservée à Bohuslav Martinu. Nous développons ces derniers temps un intérêt particulier pour ce compositeur tchèque, pas seulement à cause du projet « Martinu Revisited » dont Geoff Piper est le promoteur ici au Luxembourg mais surtout par le plaisir que cette musique nous procure. Hana Robotkova interpréta « Fenêtre sur le jardin » quatre pièces pour piano qui respirent le bonheur radieux et l’odeur de la campagne. Difficiles à jouer, la soliste nous ravit de nouveau par la qualité émotionnelle de son interprétation de cette musique pleine de maturité mais marquée, aussi, par une secrète vulnérabilité. C'est brillant et imagé....!

 

Nous avons beaucoup aimé ces perles précieuses et nous ne pouvons que recommander à tous les mélomanes cette musique exquise pour piano seul. Pour conclure nous laissons le dernier mot à Martinu lui-même: « Je pense que le plus grand danger que court la musique contemporaine est qu’elle cherche, par l’analyse et l’explication, à se justifier ; elle semble craindre de n’être pas assez «contemporaine » ou « moderne… » De courir après la nouveauté à tout prix n’est certes pas une bonne chose, car cela ne procède pas de la recherche d’une nouvelle expression musicale. La musique n’est pas un calcul ». À méditer pour certains compositeurs peut-être trop éloignés des oreilles de ceux auxquels ils prétendent s’adresser...

 

Paul Moes

Publié dans mai 2008

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